Si vous avez déjà réalisé un meuble en bois massif, vous connaissez sans doute ce moment de flottement où l'on retourne ses planches dans tous les sens pour décider quel morceau ira où et dans quel sens. On trace, on efface, on hésite, on retrace, on vérifie, "Ah mince y'a un nœud de l'autre coté", on change de stratégie et au bout d'une heure on a toujours pas décidé comment tout ça va s'organiser. Pas étonnant que chez les professionnels cette décision difficile soit souvent du ressort du patron (surtout s'il s'appelle Rodrigue) !

En effet ces choix peuvent s'avérer déterminants non seulement pour l'esthétique mais aussi pour la facilité d'exécution ou la solidité du meuble.

Au travers d'un exemple concret je vous propose aujourd'hui une revue des paramètres à prendre en compte. Nous arrivons ici juste après l’étape de corroyage. Certains choix ont déjà été effectués (comme la disposition des morceaux sur les planches brutes) mais le choix de la disposition des éléments entre eux a été repoussé jusque-là. En effet les éléments qui constituent le dessus de mon futur établi (puisqu'il s’agit de ça) sont interchangeables entre eux. Ce cas se présente souvent : les 4 pieds d'une table, les cotés des tiroirs etc. En repoussant un peu la décision on bénéficie d’une vue claire sur les faces qui sont rabotées et il est facile de repérer les défauts.

 

Le dessus de mon futur établi étant constitué de deux parties différentes dont une possédant une alèse, je réserve les morceaux les plus courts pour cette partie avant.

 

 

Chaque partie sera constituée de 5 morceaux. Si l'on considère que chaque morceau a quatre positions possibles (face au-dessus ou au-dessous, fil dans un sens ou dans l'autre) ça fait vite une grande quantité de combinaisons : 4puissance5 fois 5*4*3*2*1 soit 122880 agencements différents! (Avec 10 morceaux ca dépasse les 4600 milliards! Effrayant...)

 

J'ai tout d'abord commencé par repérer les imperfections qui iront sur la face du dessous. Dans mon cas, le bois étant de bonne qualité je n'ai que 3 morceaux avec défauts (ce qui divise le nombre de possibilités par huit).

 

 

 

 

Les faces les plus jolies seront réservées pour l'avant et pour l'arrière. Cela fixe donc quel morceau sera à l'avant et lequel sera à l'arrière. Et hop 80 fois moins de possibilités! (5*4*2*2)

 

Il me faut ensuite tenter d'avoir un fil du bois orienté dans le même sens sur tous les morceaux. Pour cela je repère le sens du fil et je le marque d'une flèche. Bien sûr le sens du fil peut s'inverser sur la longueur!

 

 

Il faut aussi avoir une harmonie esthétique entre chaque morceau. La couleur, les dessins du bois doivent se marier harmonieusement. Dans ce cas précis ce paramètre n’est pas prédominant puisqu'un établi est avant tout un meuble fonctionnel mais si on peut allier l'agréable à l'utile, pourquoi se priver?

Mauvaise pioche! Les dessins du bois ne vont pas du tout ensemble.

 

 

L'idéal pour ces deux derniers critères est bien sûr de retrouver des planches qui étaient côte à côte dans le tronc comme ces trois morceaux (à gauche).   Pensez aussi à compenser les courbures éventuelles qui peuvent apparaître quelques jours après le dégauchissage. Ici (à droite) les espaces seront facilement "redressés" par le collage.

 

Mais au fait! Il faut aussi alterner les cernes du bois pour éviter de tuiler le plateau! Bon dans ce cas précis, ce paramètre n'est pas le plus important puisque le plateau sera très épais (entre 10 et 11cm au final).

 

 

 

 

Après quelques tâtonnements, on oscille entre le nombre effarant de possibilités qui nous fait entrevoir que l'on passera forcément à coté de la configuration idéale et la crainte de ne pas trouver un seul arrangement correct compte tenu des nombreux paramètres imposés.

En général c'est tout de même le premier cas qui finit par gagner : 

"ah c'est pas mal comme ça mais... avec ce morceau à l'avant ce ne serait pas encore mieux?" et c'est reparti pour 10 minutes de manipulation...pour se dire que finalement c'était mieux avant! Mais au fait c'était comment avant?

Quand on vous dit que le mieux est l'ennemi du bien! Mon conseil? Si vous hésitez fortement entre deux configurations, tirez au sort. S'il y a hésitation, c’est que la différence est minime et que vous êtes bien le seul à vous poser la question !

C’est enfin décidé ? Bravo ! Vous pouvez Victorieusement faire un grand V (ou tout autre marque qui vous indiquera à coup sûr la disposition) sur votre plateau et passer au collage.

 

 

 

 

 

 

 A ce propos, pensez à faire un mini serrage à blanc avec deux ou trois serre joints. Cela permet de détecter les éventuels défauts de rabotage comme l'illustre la photo de droite (cliquez dessus pour l'agrandir)

 

 

 

Plus généralement, pensez à répartir les morceaux dont les dimensions sont les plus imposantes en premier sur vos planches brutes et prenez un peu de marge tout autour pour les traits de scie, la déformation du bois lors du délignage qui relâche des contraintes, le dégauchissage etc.

Enfin gardez un peu de bois pour remplacer une pièce sur laquelle vous avez fait une grosse erreur et pour faire des essais de réglages de machine.

Voici le résultat après collage. 2 pièces restent indépendantes. L'une va recevoir des trous qui serviront pour la presse d'établi et l'autre des queues d'aronde. Il reste encore pas mal de travail!